Voici mon interview sur 3DVF au sujet du making of de King of Sea.
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Stéphane Berla a réalisé le nouveau clip de Kwoon, pour la chanson King of Sea enregistrée sur le phare de Tévennec, en Bretagne. Un projet atmosphérique à l’ambiance soignée, emprunte de mélancolie.
Il a bien voulu nous en dévoiler les coulisses via une interview que vous pouvez découvrir sous le clip. Au menu : choix de réalisation, défis techniques, usage de Quill (outil de création 3D en réalité virtuelle) et Blender, approche artistique, équipe réduite.
3DVF : Stéphane, tu viens de signer pour Kwoon le clip King of Sea, produit par Eddy et fabriqué chez le studio Brunch. Comment est née cette nouvelle collaboration, sachant que tu avais déjà travaillé avec Kwoon ? En termes de scénario, style graphique, est-ce que Kwoon avait déjà une idée précise en tête ?
Stéphane Berla : J’ai eu une liberté totale. Avec Sandy (le compositeur de Kwoon) nous sommes amis depuis pas mal d’années. Nous nous étions rencontrés lors d’un festival ou il présentait son magnifique clip I lived on the moon (réalisé par Yannick Puig) et je présentais Tais-toi mon coeur pour Dionysos. Nous avons très rapidement sympathisé car nous nous sommes rendus compte que nous partagions les mêmes goûts pour les univers poétiques teintés de noirceur mélancolique. On a bossé sur pas mal de projets communs, j’ai réalisé notamment le clip Megalo Meloman pour lui mais c’était plus un délire avec zéro budget qui est parti en vrille qu’un clip officiel de Kwoon. L’envie de faire un vrai clip ensemble était là depuis toujours mais l’occasion ne s’est présentée que l’année dernière.
Sandy avait lancé un projet de jouer des titres en live tout seul dans des paysages spectaculaires (sur le massif du Mont Blanc, les volcans de Lanzarote …) filmés avec ses gopros et son drone. Un jour, il a enregistré le titre King of Sea sur le phare maudit de Tévennec. Quand j’ai entendu sa musique à la fois envoûtante, puissante et ses paroles racontant l’histoire d’un marin qui tentait de rejoindre un phare pour ne pas mourir en mer, j’ai su immédiatement que je ferai un clip dessus. J’en ai parlé à Sandy et dans la foulée j’ai développé des visuels et rédigé une histoire que j’ai envoyées à mes producteurs d’Eddy animation. Ils ont tout de suite adoré et m’ont aidé à concevoir un dossier artistique béton pour demander une subvention au CNC car Sandy n’avait pas de budget.
3DVF : Tu as visiblement voulu soigner l’atmosphère du clip : brume, surface de l’océan qui vient se fondre dans le ciel, un scénario qui évoque les contes de marins mais aussi le mythe des sirènes, le phare qui se détache en contre jour vers la fin du film… Quelles étaient tes inspirations et références, quelle était l’intention artistique globale ?
J’aimais l’idée de créer mon propre mythe en m’inspirant des légendes qui entouraient le phare de Tévennec. Il y a eu de nombreux naufrages, en partie dûs à un courant marin qui détourne les navigations dans sa direction. Sur le phare, les conditions de vie étaient très dures et les gardiens ne restaient jamais bien longtemps, soit parce qu’ils mouraient, soit ils devenaient fous. Un sinistre grondement semble venir des entrailles de la roche, ce qui lui vaut le surnom de porte des enfers. On pense aujourd’hui qu’il s’agit d’une cavité souterraine dans laquelle s’engouffre l’océan pendant les grandes tempêtes. j’ai gardé l’idée de la grotte.
Pour la sirène, je ne voulais pas faire une femme poisson. J’ai pensé aux mythes ancestraux grecs et russes où les sirènes étaient des femmes oiseaux qui attiraient les hommes par leurs chants. J’ai fait une synthèse en imaginant cet esprit de plumes qui peut prendre plusieurs formes.
Pour le parti pris graphique, c’est en grande partie lié à ma manière de faire mes visuels en ce moment. Depuis quelques années, j’utilise un casque VR avec Quill pour dessiner et animer mes personnages pour les importer ensuite dans Blender pour les shader et lighter. Cette méthode de travail me plait beaucoup, elle me permet de réduire considérablement le workflow 3D classique et ça me permet d’obtenir plus rapidement un look stop motion que j’ai toujours affectionné.
Je me suis servi de cette technique sur mon court métrage Mad Mask – Fury Roll et le passage du clip Pure 90 que j’ai réalisé pour Shaka Ponk, mais je voulais aller plus loin, en termes de durée, de précision et d’émotion. King of Sea était le projet parfait pour ça. Pour le style d’animation, je voulais quelque chose de doux, fragile et poétique. J’étais prêt à assumer les imperfections des personnages, tant qu’ils restaient élégants. Je pensais beaucoup à Pierre et le loup de Suzie Templeton par exemple. Le film Kubo a été une référence aussi, notamment le rendu du singe et les séquences de tempêtes.
Pour les ambiances lumineuses, je me suis interdit de prendre de l’animation en référence. Je voulais des ambiances réalistes, que l’on aie la sensation de regarder un film. Je me suis pas mal inspiré des lumières naturalistes aux lumières rasantes des films de Terrence Malick comme Les Moissons du Ciel.
3DVF : L’équipe a opté pour un travail mêlant l’outil Quill (sculpture et animation en VR) ainsi que Blender pour le shading/lighting : un tandem que tu avais déjà éprouvé sur un clip de Shaka Ponk, comme tu nous l’indiquais plus tôt.
Quel est l’avantage de cette approche par rapport à un pipeline plus classique, en tant que réalisateur ? En pratique, quelles sont les contraintes au niveau artistique et technique ?
Cette méthode de travail était la seule possible pour King of Sea car nous avions un tout petit budget pour un film full 3D de 5 minutes avec un look stop-motion. En épousant les limitations de cette méthode de travail on peut obtenir quelque chose de très riche visuellement bien plus rapidement qu’avec un pipeline classique. Mais celà impose une certaine radicalité visuelle et dans les manières de travailler. C’était un vrai challenge pour ceux qui étaient habitués aux pipelines classiques. Les pipelines actuels sont souvent très techniques et rigides, ce qui à mon sens finit toujours par avoir un impact sur la liberté artistique et le look de l’image. Pour King of Sea, je voulais qu’on aie le champ libre et Brunch m’a beaucoup aidé dans ce sens. J’ai notamment tenu à ne travailler qu’avec des animatrices 2D, quitte à les former, pour m’apporter un feeling différent, plus organique mais aussi pour qu’elles n’aient aucun préjugé sur la manière d’animer un personnage 3D. Elles m’ont d’ailleurs beaucoup apporté en termes de sensibilité.
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